19/10/2007

Ulysse continu

Ulysse, ou les topos du roman grec : l’amour, le voyage, la métamorphose, la reconnaissance ; les péripéties, le retrouvaille... Ulysse, ou Odysseus, c’est Homère. Homère, c’est tout. Tout est là, pour les auteurs comme pour les lecteurs grecs. Longus considère Odyssée comme le premier roman d’amour, et « chaque fois une question se pose dans le roman grec, dit la prof, les gens font recours dans les textes précédents, les épopées, c’est-à-dire chez Homère. »

Ulysse : (...)Voilà notre secret !...la preuve te suffit ? Je voudrais donc savoir, femme, si notre lit est tjrs en sa place ou si, pour le tirer ailleurs, on a coupé le tronc de l’olivier.
La plus sage des femmes, Pénélope, sentait se dérober ses genoux et son coeur ; elle avait reconnu les signes évidents que lui donnait Ulysse ; pleurant et s’élançant vers lui et lui jetant les bras autour du cou et le baisant au front, son Ulysse, elle dit : Ulysse, excuse-moi !...tjrs je t’ai connu le plus sage des hommes ! Nous comblant de chargrin, les dieux n’ont pas voulu nous laisser l’un à l’autre à jouir du bel âge et parvenir ensemble au seuil de la vieillesse !...Mais aujourd’hui, pardonne et sois sans amertume si, du premier abord, je ne t’ai pas fêté !(...)


(Homère, Odyssée, trad. de V. Bérard. Edi. Folio classique, 2007. P.412)

* * *

Je veux dire que, souvent, je me sens presque amoureuse avec lui. Presque, car j’ignore ce que c’est, ce sentiment, si loin si proche ; car je me sens tantôt Pénélope, tantôt Calypso, tantôt Ulysse lui-même, ou bien, peut-être, l’Aktoris, seule chambrière qui gardait l’entrée de leur chambre aux épaisses murailles. J’ignore s’il existe un dieu des voyageurs, mais ce devrait être lui.

Pour moi, c’est lui le dieu des voyageurs.

Mais pourquoi donc, le combat ? Vous alliez dire que c’est déjà écrit là-haut?

...Sans doute.

« Vous avez le choix : Ulysse ou le Cyclope. Vous choisissez Ulysse. Au péril de votre vie, après dix années de combats, vous avez pris la ville de Troie. C’est votre surnom : « preneur de Troie ». Sur le chemin du retour, vous avez perdu nombre de vos compagnons. Les uns, le Cyclope les a engloutis. Les autres se sont noyés. Ils ont mangé les Vaches du Soleil, en dépit de vos recommandations. Ils ont goûté à des fruits étranges qui procurent l’oubli. Ils ont fait l’expérience de vivre en cochons. Mais vous, Ulysse, vous avez dû lutter. »

(Ph. Brunet, Quatrième de couverture d’Odyssée, Edi. Folio Classique, 2007)

* * *

J’apprécie ce programme Mundus, ou plutôt ce cursus nommé Crossways in Europeen Humanities. Je l’apprécie de plus en plus, malgré ses balbutiements de l’année dernière, et je me réjouis à constater sa mise-en-route de cette rentrée. Dans un séminaire sur l’hétérogénéité de la poétique d’Ezra Pound, devant moi, ce sont ces jeunes gens d’une identité complexe, comme la mienne, une Philippine catholique dont une partie anglaise, une partie française et espagnole, un Canadien d’origine italienne grandi en trois langues, une journaliste mexicaine qui connaît mieux que les jeunes locaux la métamorphose de Dionysos. Les religieux indiens d’un esprit scientifique. Ces admirables voyageurs de lettres.

Et Ezra Pound. Pound a fait l’allusion, dans le premier Canto de sa poésie de vortex, à Ulyssee qui était allé consulter Tiresias. Il a la même question à poser pour le genre humain d’après 1914 : COMMENT RENTRER CHEZ LUI. Moi la Mundus, je pose aussi cette question, je la pose de manière d’un écrivain: l’écrivain, ce n’est que celui qui ne sait écrire et qui a la conviction de persister dans son écriture pour savoir comment écrire.

« Vous avez percé l’oeil du cyclope, le fils de Poseidon. Vous n’aviez pas le choix. De là vient l’acharnement de Poseidon à vous nuire. Pauvre Ulysse, incapable de profiter de l’immortalité toute proche que Calypso vous offre sur un plateau en or. Courage, les déesses vous protègent, et la terre n’est plus très loin !
Vous avez bientôt l’âge de Télémaque, celui d’Ulysse, puis celui de Laërte : déjà vous savez que votre vie s’est jouée quelque part entre Troie et Ithaque. »

(Ph. Brunet, Quatrième de couverture d’Odyssée, Edi. Folio Classique, 2007)

L’intempestif

Si j’ai à écrire, j’écris le passé et le futur. Ce sont mes seules préoccupations.

* * *
Dans le séminaire sur Ezra Pound : « Ulysse veut consulter Tiresias, mais Tiresias est déjà mort ! Alors comment parler avec un mort? »

Comment donc parler avec une personne morte, selon vous ?

Vous vous laissez errer dans le souvenir. Vous pensez à votre vécu avec cette personne morte. Vous ne ferez que ça pour pouvoir parler avec elle. Le retour du passé, c’est de connaître l’avenir. La solution pour l’avenir se cache dans la mémoire : une mémoire collective, plutôt que celle d’une personne ; ou bien une mémoire personnelle devenue collective : comme celle de la femme dans Hiroshima Mon Amour.

* * *
« Mlle Dong a un problème avec du TEMPS ... » Ah, je vous admire, cher Monsieur ! ...Mais je veux dire que vous avez tout à fait raison !!

15/10/2007

Le silence

Rares sont les gens qui puissent partager le silence, dans une situation à deux. C’est souvent une lacune obsédante, on cherche à la remplir avec la parole comme si l’on remplissait un trou.
Si l’on y arrive pas, soit on se gêne, soit on croit avoir gêné l’autre.

Mais le silence, c’est une musique sans bruit, un vide vibrant. C’est le découlement du temps, de l’air et de l’émotion qui s’entendent, qui se sentent.

Il n’y a de partage du silence qu’entre les amis authentiques, les véritables aimants/aimés, car un tel partage demande une confiance réciproque sur la capacité de se comprendre sans se communiquer, sur l’existence même de l’autre, sur la co-existence. Dans ce silence, l’amitié est sûre. L’amour réconforté.

11/10/2007

L'incohésion dans l'Hétérologie (Dossier)

Umm...ça sent académique ici. Je dirais oui, pour ces semaines de la rentrée. La reprise des travaux précédents, le bilan et le plan. Les rdv de la rentrée, les rencontres au centre du monde, la vie renouvellée, le soleil et la mer à en profiter... Et je me laisse boukiner à gauche et à droite, et je continue l'écriture actuelle ou virtuelle.J'avais fait trois dossiers l'année dernière, voilà celui qui me plaît et qui m'inspire le plus.

 

 

Un Saint Malsain

 

---l'Incohésion du processus d'hétérologie dans Pour en Finir avec le Jugement de Dieu d' Antonin ARTAUD

 

 

Seminaire :  Master II Hétérologie- Pensée Sacrificielle et Processus hétérologique

Dirigé par :  M. GIRARD Didier

Rédigé par : Mlle DONG Zhihong 

1ière Année Master Mundus « Crossway in Humanities »

Université de Perpignan Via Domitia

Avril. 2007
 

 

Table de Matière

 

INTRODUCTION

 

I.                  IMAGI- : Forme dégradée

II.               –ACTION : Force radicale

III.           Au-delà de l'incohésion : Façonnage totémique

                                 

 

CONCLUSION

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 


INTRODUCTION

 

-Que c'est l'Hétérologie ?

-Je ne sais pas.

-Pourquoi ? 

-Pourquoi quoi ?

-Mais... qu'est-ce que tu as ?

-J'ai vu un gouffre. Ça tourne la tête. [1]

-Ah bon...

 

Para-Transmission

L' Hétérologie est indéfinissable dans le dictionnaire. Mais l' hétéro- trouve son opposé dans un système dichotomique : comme l'indique le Petit Robert dans l'explication de l'adjectif « hétérologue », ce hétéro- se définit selon l' homo- : c'est un système autre par rapport à d'autres parties d'un organisme.

L'Hétérologie peut alors être défini dans ce sens. En bref, c'est la science de tout autre, dont une position d'au-delà par rapport à cet organisme. Cette position, car c'est une science sans référence aucune dans le système logique : ni la raison ni l'irrationnel, mais la dé-raison, c'est-à-dire une raison dont le sens dérivé de sa routine établie. Cela peut être également un su- : non pas « j'ai su », mais suspect, suspense, voire subversion de ce que j'ai su. (voire même de ce que j'ai à savoir).

L'expérience intellectuelle de cette science hétérogène ne serait-elle pas une sorte de révolte vis-à-vis de l'autorité de la raison, mais plutôt des rencontres des chocs par rapport à des savoirs canoniques: C'est d'essayer de penser l'impensable.

 

L'Incohésion : littéralement, cette segmentation du processus hétérologique que nous allons traiter dans le texte suivant se définit comme ce qui n'est pas « cohésif ». Ne faisant pas partie du monde d'ensemble, celui propre à l'incohésion se trouve à côté de ce dernier. On peut emprunter une figure géométrique pour mieux comprendre la position de l'incohésion ( cette vision physique est d'ailleurs l'une des approches assez efficace dans le système de l'Hétérologie) : figure de la tangente, qui est sur le point de changer le sens du mouvement et d'où la nature inhérente de l'incohésion : l'intempestif à la dimension verticale, et l'incongru à la dimension horizontale.

A part cela, il importe aussi à noter que, malgré l'incohérence externe, l'intérieur de l'incohésion se trouve pourtant structuré dans son global, pour le bien fondé d'un espace intrinsèque. Ce n'est donc pas un point tangent qui s'enfuit mais une sphère qui va se diriger le long de sa propre orbite.

 

Circonstances

 

            Il s'agit dans un premier temps de la théorie de Georges Bataille, à qui l'on doit la notion néologique de « l'hété-rologie » et la pensée sacrificielle, le sacré en gros, comme déjà indiqué dans le titre du séminaire. Il s'agit ensuite de l'époque des années 30s du XXe Siècle, celle d'entre-deux-guerres. Marquée par le mouvement surréaliste, cette époque constate un tournant de la pensée contemporaine, et ce mouvement même est comme une tangente, qui se dirige vers l'impureté, jadis écartée par la tradition intellectuelle. Les créateurs sont souvent «  polymorphes[2] » qui présentent à travers leurs oeuvres le sacrifice, manifestant à la fois la frénésie et l'indifférence dans la réalisation d'un automate spirituel[3] voire celle de l'auto-destruction.

         Parmi ces créateurs on devrait compter Antonin Artaud, homme d'écriture prolifique, ou poète maudit, dont l'oeuvre multiforme souvent dégagée d'une tension malsaine, néfaste même, cela ayant en partie pour cause de son expérience comme malade psychiatrique dans la maison de santé. Il essaie constamment à mettre en avant la saleté et la cruauté humaines, l'oeuvre et le corps demeurant inséparables dans sa création. En ce sens, il est plus que surréaliste, ou plutôt à part de cette communauté d'avant-garde.  

Dans l'abondance de son oeuvre, l'émission radiophonique Pour en Finir avec le Jugement de Dieu est très remarquable comme un cas de référence dans notre analyse de l'incohésion. Réalisée en novembre 1947 et interdite à la veille de sa diffusion par le directeur de la station radiophonique, c'est à la fois une manifestation vibrante conçue par Artaud de son « théâtre de la cruauté », et la clôture de sa création et de sa vie même.

Tout ce qui se passe autour de cette émission (l'enregistrement, la malédiction, les polémiques après l'interdiction, et enfin la mort de l'écrivain) se présente devant nous comme un tout sacrificiel, incarnant aussi bien les théories de Georges Bataille, qui à l'époque a eu une influence importante sur Artaud. Nous allons donc nous mettre un instant dans l'atmosphère de cette fameuse messe noire, d'où une sorte d'imagin-action comme confluence de la force et l'effet de choc[4] ; en traversant cette étrange de vibration nous essayerons de capter les symptômes de l'incohésion mais aussi de repérer le parcours de sa réalisation, et de voir vers quel sens aboutira ce sacrifice délirant.

 

 

 

 

 


I.                  IMAGI- : forme dégradée

 

Il faut que tout soit rangé

A un point de près

Dans un ordre fulminant. [5]

---Antonin Artaud

 

Cette ouverture de l'émission est comme un résumé bien implicite de l'Incohésion : tout est rangé, dans un ordre à côté et autre.

On dirait un bloc d'image-excrément. Ce doit être la première impression que se donne l'auditeur quand surprendent les mots de souillure aussi concrètes que vulgaires : la fécalité(comme fécalithe), la merde, le caca...le sang, la viande, les ossements, la chaire rouge, la fécondation artificielle avec le sperme et le produit synthétique...Que c'est affreux, cette manifestation des déchets corporels du genre humain !

Justement. Artaud le Momo comprend très bien la magie du langage verbal dans la tradition occidentale : le mot, c'est l'illustration de la pensée, ça donne image ; et « le parler, c'est le penser ». Il expose donc ces tas de gaspillages corporels que l'homme civilisé néglige volontairement pour ne pas s'y mettre en face. C'est une vision purement physique, comme physiologique, et cette sorte de précision physique possède un pouvoir tellement magique qu'elle va engager l'être entier, mettant toute la représentation à l'épreuve du corps sensible[6].  De telle façon il invite(ou plutôt impose) les auditeurs à voir directement et à comprendre littéralement cet enchaînement de la malpropreté, avant d'annoncer d'un ton plus ou moins ironique que « là où ça sent la merde, ça sent l'être ; [...] l'homme ne peut que désirer un changement corporel de fond [7]».

Cette drôle d'installation plastique-déchet établie, qui démontre « la saleté sociale officiellement reconnue, et recommandée », comme déclaré dans la partie de la Conclusion de l'émission, Artaud parvient ainsi à une vérité d'ordre métaphysique, toute crue.

            En plus des transcriptions verbales propres au corps humain, on constate en même temps dans l'émission plusieurs scènes à l'échelle rituelle : L'homme civilisé qui mange délicatement le rat, le peuple de l'ancien continent colombien qui mangent l'opuntia ainsi que la terre où ils vivent, un septième soleil cru, et enfin, un dieu réduit au microbe. De tels rites aussi écoeurants qu'effrayants, bizarrement néfastes.

            C'est que ceux qui vivent sur la Terre de l'ancienne Amérique est « un peuple étrangement civilisé » , et qui ont cru en « une forme de civilisation basée sur le principe exclusif de la cruauté [8]». Et donc qu'est-ce que cette cruauté, qu'Artaud a voulu d'ailleurs monté comme projet de théâtre ? Voyons ce qu'il a défini dans la septième conclusion de l'émission: « la cruauté, c'est expériencé par le sang et jusqu'au sang ; c'est Dieu, le hasard bestial de l'humanité. »

            Voilà la sorcellerie d'Artaud. Dans l'atmosphère obscure pour ne pas dire obscène, l'image de l'homme civilisé codé travestie, celle de Dieu a souffert une distorsion piquante, qui fait du sacré éternel un hasard bestial, de l'infini dehors une infime dedans[9]. Tout cela est comme ce que dénonce la voix féminine dans l'émission : « le ton majeur du rite est justement l'ABOLITION de la Croix ! [10]», ce qui renvoie dans un premier temps à la stratégie de la triomphe de l'homme surexcellent: non pas rompre définitivement avec Dieu, mais le faire déplacer de la Croix pour le rendre incongru en le réduisant au microbe—toujours omniprésent, flottant comme un fantôme, suspendu dans un espace nowhere. Au bout de cette opération, la ligne de démarcation entre la civilisation et la barbarie, entre le sacré et le profane, et enfin, entre le prototype canonique et l'anamorphose, est devenu un zigzag.

D'exposer la vérité métaphysique comme de déformer le sacré, dans les deux cas Artaud a su dé-ranger nos yeux, et probablement notre estomac, quand nous nous ressentons la nausée. C'est l'impureté et l'immoralité qu'il impose, qu'il fait ressentir, et ces deux-là favorise justement l'établissement d'un Tout, un espace de pureté [11], qui n'inspire rien qu'un effet de choc.


II.               –ACTION: Force radicale

 

Il y a dans la nature et il subsiste dans l'homme un mouvement qui toujours excède les limites...Un mouvement par définition ce dont jamais rien ne rendra compte.[12]

---Georges Bataille

 

L'étape de la défiguration du monde en ordre achevée, nous constatons un espace autre, établi à côté de notre système, où il n'y a que des excréments qui répugnent notre sensation oculaire.

Artaud ne s'arrête pas là. Dans cette deuxième étape, qui se réalise en même temps que la première mais dans un autre registre sensoriel, celui de l'effet sonore, Artaud continue à bouleverser les auditeurs, de façon plus violente, acharnée, ondulée ; il va renforcer le choc, déjà effectué au cours de l'opération précédente, « dans un ordre fulminant ».

C'est un remous foudroyant que l'on entend dans l'émission. Dans les premières minutes, Artaud introduit dans l'espace radiophonique une ambiance angoissante en parlant avec un ton tout étrange—c'est encore un ton, au moins, par rapport à ce que l'on entend dans les épisodes qui suivent : l'auteur, ainsi que les trois autres acteurs dans l'émission, vont accentuer ce ton poignant, faisant du parler un hurlement hystérique, un cri d'animaux même[13]. Sorciers, ces acteurs se laissent éructer les injures,  automatiquement, sans contrôles ni réflexions aucunes.

C'est ce que nous appelons l'éjaculation des mots, un acte humain d'instinct qui dégage tant la morbidité que l'animalité, d'une vigueur effrayante. Obscène, tout cela, n'est-ce pas, mais c'est juste cette pulsion primitive qu'Artaud entend monter, comme montrer. Plus que cela, cette pulsion est même exigée par l'auteur, de façon la plus irrationnelle possible, en faveur de la réalisation de cet acte de barbouille. Cette sorte de

contrainte est propre au processus incohérent[14] que nous traitons ici : que toute chose se passe accidentellement, comme si c'était d'un hasard objectif.

L'exigence de cette sorte de hasard est bien réussie, de sorte que nous nous retrouvons tête perdue devant cette scène vibrante: nous faisons effort de suivre les mots qui jaillissent et qui frappent l'oreille, alors que nous nous rendons compte d'une suite du soit-disant raisonnement pointillé, tout hermétique, puisque non causal.

Et bien nous y sommes. C'est qu'Artaud invite à penser comme tel, une manière de pensée « hagarde et aveugle [15]», propre à l'animal acéphale[16], comme théorisait Bataille ; et l'effet de cette aveugle naïveté sera ce qu' «elle devient si grande que tout obstacle se lève devant la force infinie entrée en jeu ; [...] ce qui n'existait pas s'éveille et traverse le temps de sa démarche folle ou ferme. [17] » :

 

Ce qui est grave, est que nous savons après l'ordre de ce monde, il y en a un autre. Quel est-il ? nous ne le savons pas. Le nombre est l'ordre de suppositions possibles dans ce domaine est jusetment l'infini....Qu'est-ce que l'infini ? nous ne le savons pas , c'est un mot pour indiquer l'ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée. Et quelles sont juste que la conscience ? Ô juste nous ne le savons pas ... C'est le néant. Un néant dont nous nous servons pour indiquer quand nous savons pas quelque chose, de quel côté nous ne le savons, et nous disons alors la conscience du côté de la conscience, mais il y a cent mille autre à côté.[...][18]

 

Cette aspiration à penser à l'animalité acéphale, c'est-à-dire à la non-pensée, sera d'autant plus renforcée dans l'atmosphère même de l'émission, grâce au fond sonore, improvisé par quelques excellents musiciens avec tambour, percussion, xylophone, gamelan, cloche d'église et quelques déflagrations. Cette tempête musicale a composé dans l'ensemble une espèce de symphonie chaotique, qui chahute le nerf sensoriel des auditeurs avant de susciter chez eux un égarement palpable.

De là s'est établi en fait un circuit turbulent, aussi vibrant qu'électrique, dans lequel nous perdons toute référence de la raison, nous laissant hypnotiser, envoûter. Voyons la confirmation de cet effet par Artaud lui-même dans la polémique à lendemain de la censure de l'émission :

 

Il y a dans cette émission que je fais les éléments grinçants, lancinants, décadrés, détonants, pour que, montés dans un ordre neuf, ils fassent preuve que le plus cherché est déjà atteint. 

 

Tous ces éléments évoqués, qu'ils soient vocaux ou instrumentaux, s'unissent pour structurer et rendre plus étanche l'atmosphère propre à l'émission. A ce moment-là, ce qui se réalise dans cette même atmosphère, c'est la déstabilisation totale de l'ordre de notre monde harmonieux, avant qu'un « ordre neuf » soit établi: d'une part, c'est la dé-raison, opération réalisée avec l'éjaculation des mots ; de l'autre, la dé-liaison, renforcée dans l'improvisation d'un sillage sonore. A la fin de cette étape, aussi radicale qu'il peut être, est construit cet ordre neuf, dont une atmosphère tout hors de la vie.

Ce que déclare Artaud dans la polémique de l'époque est bien remarquable : « En finir avec le jugement de nos actes par le sort, et par une force dominante, cela signifie sa volonté de manière assez neuve, pour indiquer que l'ordre rythmique des choses et du sort des choses ont changé leur cours. ». Ainsi, nous pouvons rendre compte d'un nouveau monde, celui du délire authentique : sa cohérence se caractérise par le non-rythmique, son sort attaché à une liaison intrinsèque de cette atmosphère.


III. Au-delà de l'incohésion : Façonnage totémique

 

Je tombe, je tombe, je n'ai pas peur...

---Antonin Artaud

 

            A la fin de ces deux étapes d'incohésion, ce monde hétérogène a été bien établi et cimenté. Ce n'est cependant pas l'achèvement de l'acte d'Artaud le poète malsain, le Momo, le sorcier, quel que soit le titre. Mais l'un des titres que les chapelles lui ont conférés dans les journaux à l'époque, celui de « la nouvelle messie », demeure assez inspirant à nos yeux et nous aide à avancer davantage dans notre recherche des processus hétérologiques : en dépit d'une conscience totale, nous pouvons ressentir que l'émission que réalise Artaud concerne une cérémonie religieuse, à un sacrifice rituel. Là donc, il n'y a pas seulement l'incohésion à rendre compte dans l'émission, nous avons besoin de commuter au segment prochain, celui de la totémisation.

            Avant le diagnostic de ce processus, il est bon de rectifier ce que l'on définit comme Totem, notion au centre de notre recherche dans cette partie : c'est quelquechose qui est exclue à l'intérieur, écartée dans un coin. A la différence de la prise de position de l'incohérent qui s'identifie à une tangente à côté, le totèm n'est pas ailleurs, il est , parmi nous[19]. 

            A partir de cette définition, on peut en citer plusieurs exemples de l'opération de totémisation. En fait, Artaud joue avec la notion du totem dans l'émission, il joue d'ailleurs par étapes, en faveur de sa rupture avec Dieu: il a d'abord dénoncé « la fécondation artificielle », devenue le totem des armées américaines et plus généralement celui de l'homme civilisé et sur-excellent. Un totem qui incarne la toute-puissance des spermes et des produits synthétiques par rapport à l'être, qui marque le début de l'époque post-industrielle où l'homme commence à se dés-humaniser avec l'hégémonie de la technologie.

Ensuite, pendant sa bénédiction d'un monde de déchet humain, il a totemisé la merde, le caca, propres à l'être humain et pourtant négligé et exclu à l'intérieur de l'homme, ce qui renvoie de nouveau au problème de l'être, ainsi défiant le pouvoir de Dieu :

 

Là où ça sent la merde, ça sent l'être ; l'homme aurait très bien pu ne pas chier, ne pas ouvrir la poche anale, et il a choisi de chier, comme il a choisi de vivre...C'est que pour ne pas faire caca, il lui aurait concentir à ne pas être, mais il n'a pas pu se résoudre à perdre l'être, c'est-à-dire à mourir vivant ; il y a dans l'être quelque chose qui est particulièrement tentant pour l'homme, et ce quelque chose est justement, le CACA ! [20]

 

Ces petits consignes de totem que l'on vient de récupérer visent à se mettre à l'opposion de Dieu, mais là n'est pas encore le coup majeur qu'Artaud a su donner dans l'é-mission, au sens original du mot. La véritable puissance chez Artaud réside en ce qu'il se fait témoigner, et plus encore, se témoigne. Sur cela, ce que dit Roger Vitrac de l'auteur demeure éclairant : « un mage d'une magie dont il est à la fois le sujet et l'objet. »[21]

D'abord le côté objectif. Visiblement dans  la danse de Tutuguri , il fait témoigner aux auditeurs ces étranges de rites chez le peuple mexicain (l'homme qui mange le cheval, l'opuntia, la terre où ils vivent, etc. ), et plus loin, dans la Conclusion, impose la scène de l'émasculation de Dieu : 

 

Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organe, alors vous l'aurez délibéré, et le rendu à sa véritable et immortelle liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l'envers...cet envers sera son véritable endroit. 

 

            Ces deux scènes mettent l'auditeur à la place du témoin, au sens original, c'est-à-dire rituel ; l'une comme l'autre nous aidera à comprendre l'essentiel dans un tel sacrifice : une fois que l'énergie du totem-victime est libérée, le sacré est atteint.

            Voyons maintenant le côté subjectif de cette « magie », qui constitue le point-clé dans toute la réalisation de l'émission, et dont la compréhension nous proposerea un déclic dans une telle recherche hétérologique. C'est que le poète se fait le Bouc Emissaire, un victime qui survit[22]. Il s'agit de là de ce que Deleuze appelle l'automatie spirituelle[23] , au niveau radical. L'énergie d'Artaud l'émissaire se libère quand il « s'abandonne dans la férocité humaine »[24], avant même d'atteindre le délire total, conséquence nécessaire pour compléter une cérémonie sacrificielle. Ce statut de l'autre moi qui me regarde souffrir s'entrevoit dans ces paroles suivantes :

 

[...] Mais il y a une chose qui est quelquechose, une seule chose qui soit quelquechose et que je sens, parce que ça va sortir ! [...] Il y a un coin où je me vois en train de dire non, quand on me presse, que je suis suffoqué. [25]

 

            De cet auto-sacrifice, Artaud se met dans un double rôle de sorcier-victime, celui-ci incarné à l'intérieur, alors que les auditeurs restent stupéfaits devant ce choc, ne sachant réagir ni réfléchir puisque impuissants, comparable à la place du témoin dans un sacrifice rituel proprement-dit.

            C'est alors que s'achève complètement la malédiction gratuite d'Artaud. Devant tout ce spectacle, aussi effrayant qu'il peut être, nous ne pourrions rien réagir que de dire « n'importe quoi, quoi ». Avec un tel acte qui échappe à notre capacité de juger, Artaud s'est désormais crucifié dans le coin quelque part dans son émission, à l'intérieur de laquelle s'ouvre un gouffre béant.

 

 

 

 

 

 

 

 


CONCLUSION 

 

La réalité hétérogène est celle de la force et du choc. Elle se présente comme une charge.

--Georges Bataille[26]

 

Parmi les cinq processus hétérologiques, la segmentation d'incohésion, marquée par l'incongruité vue de l'extérieur et le bien-structuré dans son global, est propre au champ de la création artistique. Or tous les oeuvres d'art ne sauront incarner cette position à la fois délicate et complexe. Antonin Artaud y est parvenu, à travers son émission radiophonique Pour en Finir avec le Jugement de Dieu. Il y est parvenu de façon tellement radicale que l'effet même de choquer et de frapper le système sensoriel des auditeurs devra retourner vers lui-même.

On peut résumer cet acte comme une représentation de l'irrationalité concrète, qui agace constamment notre sensation. Le concret de l'impureté en premier : il impose pour démontrer au monde civilisé la souillure, la saleté ; il joue avec la puissance de l'impur, comme dit Bataille, qui a le même effet que le sacré et qui sert de fond à la purification d'une croyance adaptée[27]. Cette purification s' effectue et devient « prometteuse » dans le processus qui suit, caractérisé par l'irrationnalité, le délire à l'extrème, en faveur d'une dérivation de l'ordre conventionnel.

C'est dans une telle atmosphère que cet acte devient un sacrifice, dans lequel Artaud joue le sorcier, jète les sorts les plus violents, y compris celui sur lui-même. A ce temps-là on est déjà au-delà de l'incohésion pour rejoindre la segmentation prochaine, celle de la totémisation, puisqu'Artaud devrait provoquer, à part l'auto-témoignage, le témoignage chez les auditeurs.

Néanmoins, ce n'a pas été fait. Une telle cérémonie n'a pas été complete. Cette plénitude est rompue brusquement avec la censure de l'émission à la veille de la diffusion, ce qui détourne à la fois l'essentiel et l'intention de la création de l'auteur. On peut dire dans ce sens que ce n'est encore pas un totem, mais un quasi-totem qu' Artaud a façonné, car un auditeur d'un disque n'est plus pareil que celui d'une émission radiophonique en direct, qui enchaînera une réaction imédiate et non préparée. La réalité est qu'Artaud est mort peu de temps après cette censure. Sur cela, on prend le risque ici de dire que l'auteur est presque condamné à mourir : vue que le sacrifice émissif n'a pas été fait, la mort du sorcier devra rendre l'auteur un véritable totem et ce n'est qu'ainsi que l'émission, la malédiction se verra complètes et feront force à l'infini.

A partir de cette émission qui est devenue un chant funèbre de quelque sorte, il est bon aussi de réfléchir sur la relation entre ces différentes segmentations dans le processus hétérologique qui s'ensuivent. Il est à noter que la radicalité qu'a pris Artaud dans l'é-mission pour effectuer l'éjaculation des mots n'est déjà pas loin du fait d'un transit de décharge, soulignée dans la segmentatino qui précède, celle de l'excrépulsion.

D'autre part, entre l'incohésion et la totémisation, segmentations qui ont plus de lien avec notre recherche, nous supposons que, si l'incohésion est un parcours inhérent à l'acte de création, la totémisation concerne alors le monde qui se met en face, celui de la réception. Dans de telles créations se trouvent les éléments hétérogènes, dont nous sommes familiers et qui ne sont pourtant pas propres à nous, et le Tout constitué de ces derniers va nous envoûter, nous influencer pour nous faire évoluer.

Le déclic à travers cette recherche reste donc à ce que le processus hétérologique, comme impliqué les noms même des processus, constitue en une « -tion ». L'hétérologie est de fond une mise-en-mouvement. C'est avant tout un mouvement qui se charge à dépasser le monde de la dichotomie, à pointiller la ligne de démarcation conventionnelle avant d'atteindre un espace d'au-delà ; c'est en même temps une interaction, plutôt voisine, entre les différentes segmentations, en faveur d'un renouvellement non pas de la connaissance, mais de la cognition. Ce mouvement étant à l'infini, nous ne cherchons pas à définir ni son sens ni sa finalité, comme nous ne l'avons pas fait vis-à-vis de l'émission d'Antonin Artaud, mais nous nous efforçons d'y penser et d'y traverser.


BIBLIOGRAPHIE 

 

 (...) 

 

Composition du CD Pour en Finir avec le Jugement de Dieu:

-Revue de Presse janvier et février 1948.

-Radio 1948 : Avec les voix de Roger Blin, Maria Casarès, Paule Thévenin et Antonin Artaud. Présentation par Roger Vitrac

1  Texte d'ouverture

2  Bruitage

3  Danse du Tutuguri

4  Bruitage, xylophonie

5  La recherche de la fécalité

6  Bruitage et battement entre Roger Blin et moi

7  La question se pose de...

8  Bruitage et mon cri dans l'escalier

9  Conclusion

10  Bruitage final



[1] « Chacun de nous est un gouffre ; on a la tête qui tourne quand on regarde au fond. » La mort de Danton, Georges Büchner.

[2] Voir les matériels du séminaire sur le site : http://gala.univ-perp.fr/~dgirard/

[3] L'Image-Temps, Cinéma2.Gilles Deleuze, Coll. « Critique », Edi. Minuit. 2002. P. 221.

[4] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaire de Perpignan, 2006. p. 156

[5] Texte d'ouverture de Pour en finir avec le jugement de Dieu.

[6] On n'enchaîne pas les volcans, Annie le Brun, Edi. Gallimard, NRF, Coll. Essais. P. 118.

[7] Cf : La déclaration d'Artaud dans la polémique suite à l'interdiction de l'émission.

[8] Cf la partie Conclusion de l'émission.

[9] Cf la partie III-A la recherche de la fécalité de l'émission : « L'homme a 2 routes à choisir : l'infini dehors, l'infime dedans. Il a choisis l'infime dedans. »

[10] Cf la partie II-Tutuguri de l'émission .

[11] « Seule l'épaisse, onctueuse impureté peut passer pour connaissable et descriptible et racontale... Nous nous représentons l'indicible pureté à partir de la dicible impureté. ». Citation 57 de Georges Bataille dans le polycopié.

[12] Erotisme, Georges Bataille. Voir aussi la citation 7 de la poligraphie sur Bataille.

[13] Cf : Effet sonore avant la partie de la Conclusion.

[14] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaires de Perpignan, 2006. P. 159.

[15] On n'enchaîne pas les volcans, Annie le Brun, Coll. Essais, NRF, Edi. Gallimard. 1997, P. 119.

[16] Bataille introduit cette notion en parlant de la scatologie, qui vise à « baisser de quelques degrés le siège de la pensée, [...] à faire perdre la pensée à la tête. Retour à la bêtise, à l'animalité acéphale. »

[17] Idem 1, P. 120.

[18] Cf : la partie « la Question se pose de... »

[19] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaires de Perpignan, 2006. P. 162.

[20] Cf la partie II A la recherche de la fécalité de l'émission.

[21] Cf Présentation de l'auteur qui précède l'émission : « Roger Vitrac vous parle de l'auteur ».

[22] Groupe H3, Hétérologies, Presses Universitaires de Perpignan, 2006. P. 163.

[23] L'Image-Temps, Cinéma2.Gilles Deleuze, Coll. « Critique », Edi. Minuit. 2002. P221.

[24] Dans le même épisode « Roger Vitrac vous parle de l'auteur ».

[25] Dans la partie « La question se pose de... » de l'émission.

[26] Polycopié Citaion 23.

[27] « Le pur et l'impur ont en commun d'être des forces qu'il est loisible d'utiliser ; or plus la force est inense plus son efficacité est prometteuse : d'où la tentation de changer les souillures en bénédictions, de faire de l'impur un instrument de purification . », G. Batailles. Polycopié sur G. Batailles, P.23.

 
 


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Roman Grec VS Hong Lou Meng ou Question de l’Affect (Réponse à Ben)

"...Je suis en train de lire Hong lou meng, le grand roman de Cao Xueqin. Sa lecture me passionne, je me réveille la nuit pour le lire. Je suis frappé par l'aspect completement romanesque du livre, au sens occidental du terme, alors qu'il appartient à une tradition culturelle entierement indépendante d influences du monde greco-romain. C'est donc que la forme romanesque devait s'imposer, dès qu'il s'agit d'écrire une histoire, qu'elle serait universelle? Que, sur ce point, l'histoire de la culture chinoise rejoint celle de la culture occidentale?" (Ben)

Comme vous le voyez, la filiation du roman classique de l’Orient est indépendante d’influences de celle de l’Occident. S’il existe une vision comparative, elle ferait largement recours à leurs circonstances respectives, c’est-à-dire dans leur propre système d’évolution. Il est vrai que les deux sortes de romans se ressemblent bcp sous forme romanesque, mais pour moi, c’est qu’il y a des questions qui se posent naturellement au niveau stylistique ( (par ex quand il s’agit d’un récit fictif, il serait naturel de penser où mettre le narrateur), comme Deleuze peut nommer une histoire naturelle du cinéma. Si l’on entre en détail, on peut constater une rencontre des deux cultures qui se dérivent en même temps.

D’abord concernant la volonté d’écrire, ou le besoin de s’exprimer, pour les auteurs du roman grec, c’est de garder un esprit de la démocratie qu’ils avaient vécue et qui n’existait plus, tandis que Cao Xueqin n’avait jamais connu la démocratie. C’est plutôt une chute vécue par les auteurs (comme événement déclencheur d’écriture même) qui semble analogue: chute d’un système démocratique sous l’Empire romain pour les grecs, chute de toute une filiation familiale impériale sous l’Empire de Qing en agonie, pour Cao Xueqin.

Quant à la fonction sociale, l’instruction du roman grec sur le bonheur, l’amour me fait penser curieusement au poème chinois, plus précisément le Shi Jing, évolué des chants populaires circulés parmi les agriculteurs pour la détente, là aussi ça concerne une classe sociale définie.Je vois ces deux littératures non pas en contrepoint mais se croisant. Dans le Shi Jing, on pourrait confronter par ex la partie d’éloges héroïques avec l’Epopée d’Homère(sens politique et historique d’une collectivité : d’unir et de rappeler), et la partie sur la vertu, comme vous l’avez marqué il y a longtemps, avec l’instruction sentimentale du roman grec : leurs histoires marquent une limpidité et une naïveté d’un goût archaïque.

Sur le plan esthétique enfin, le roman grec incarne la tradition rhétorique(thème de la scéance d’hier)et décrit un amour complété au bout des péripéties, pour garder un esprit libre d’individu contre le régime impérial ; mais le « contre » est tjrs dans le même ordre que ce dont il est contre (voire qu’ils se rejoignent finalement par nature..). Prenons un exemple dans la littérature chinoise, l’histoire d’un autre fameux roman classique Au bord de l’eau : ceux qui sont contre le régime impérial finissent par en crée un autre, un mini-royaume (c’est plus ou moins daoîste je crois..). Et pour Hong Lou Meng, outre que la vie dans le jardin Da Guan Yuan reflète les circonstances de la Cour d’alors, il y a une mise-en-primat du Qing (le sentiment, l’Affect) comme de la foi, et de telle façon Cao parvient à dépasser le système politique et atteindre un niveau plus élevé avec l’émancipation de l’Affect, force propre à la nature humaine, et d’où la grandeur de cette oeuvre, par rapport à d’autres classiques chinois reconnus. Je rappelle d’ailleurs le propos du prof d’un cours esthétique à l’Université de Nankin, qu’on trouvera le partage de qch de commun dans de différentes cultures à une échelle très haute de l’humanité : la foi au sens général, l’Affect, etc. Là en effet, les deux cultures peuvent se rejoindre l'une avec l'autre.